Bienvenue dans Gouineries chaotiques, la newsletter dédiée aux littératures lesbiennes contemporaines en France.
Cette NL se veut à mi-chemin entre Instagram et mon carnet de thèse. J’avais envie d’un endroit où raconter des choses sur et autour des littératures lesbiennes sur un mode un-peu-universitaire-mais-pas-trop en toute tranquillité. C’est aussi le lieu et le format parfaits pour tous mes chantiers de recherche en cours, et un moyen assez pratique d’archiver toutes mes découvertes, mon cheminement intellectuel, bref, une façon supplémentaire de contribuer à ce qui me tient le plus à cœur : la visibilisation les littératures lesbiennes dans un monde cishétéro.
Le ✨ chaos ✨ étant la vie que j’ai (vaguement) choisie de mener, je ne vais pas te promettre une régularité quelle qu’elle soit, je serais bien incapable de m’y tenir.
Pour finir, merci à celleux qui ont répondu à mes questions / interrogations sur le concept et l’utilité d’une (ma) newsletter ces derniers jours : Eva, Alexandre, Noémie, Victoire, et évidemment AL, qui est toujours là pour suivre mes projets de près ou de loin 💜
Antenne
“Organe invisible [...] qui permet de percevoir instantanément les alliances possibles entre les lesbiennes.” (Monique Wittig & Sande Zeig, “Brouillon pour un dictionnaire des amantes”)
Actualités des littératures lesbiennes (majoritairement) françaises ou en français
Contrairement à ce que je pensais à la fin du printemps, il y a eu BEAUCOUP de publications lesbiennes lors de cette dernière rentrée littéraire, qu’il s’agisse de romans, d’essais, ou de BD, d’ouvrages publiés en français ou de traductions. Mes recherches ont abouti à une liste de pas moins de 16 livres (certains résumés ici).
NB : à ma connaissance, rien du côté de la poésie, mais je suis peut-être passé à côté de quelque chose. Et pour les littératures de l’imaginaire, c’est Fantastiqueer (Twitter ou Instagram) qui recense toutes les sorties.
À présent que cette rentrée littéraire-là se termine, quel bilan en tirer ? Déjà, je dois dire que je n’ai pas tout lu, et que je n’ai pas encore terminé tous les livres entamés. Mais j’ai évidemment eu des coups de cœur1 :
Je n’avais pas eu de coup de cœur littéraire aussi intense depuis Colza, le roman d’Al Baylac sorti début 2022. Faites de cyprine et de punaises est malheureusement un peu passé sous le radar de la presse et des réseaux sociaux, j’ai donc entamé au début de l’automne une campagne de lobbying assez efficace, puisque je le vois désormais un peu plus circuler, et que d’autres auteurices m’en ont dit le plus grand bien. J’en dis un peu plus sur Insta, où j’ai aussi posté des extraits, et dans ma dernière critique pour Jeanne Magazine, en accès libre.
Ce roman est aussi court qu’incisif et drôle. J’ai probablement ricané pendant 75% de ma lecture. C’est l’histoire d’une femme cuisinière sur un bateau, qui rencontre un beau jour un femme dans un port. Elles se voient chaque fois que le bateau qui emploie la narratrice s’arrête dans cette ville. Les années passent, et Samsa lui annonce qu’elle part s’installer en Islande. Qu’à cela ne tienne, Boulder la suit par amour et se retrouve enfermée entre quatre murs, dans un environnement solitaire, urbain et hostile, bien loin du quotidien qu’elle s’était construit sur le bateau. Elle s’ennuie à mourir, et finit par ouvrir un foodtruck d’empanadas qui connaît beaucoup de succès. Mais voilà, Samsa veut un enfant, là tout de suite. Une fois de plus, la narratrice suit, mais cette décision lui pèse encore plus que la précédente. Et c’est alors que son ironie cinglante parvient à son apogée : je n’avais jamais lu une critique aussi drôle, pertinente et acérée de la maternité lesbienne. Boulder sera le sujet de ma prochaine critique pour Jeanne Magazine.2
Joan Nestle, Fem (Hystériques & associé.es, trad. Noémie Grunenwald & Christine Lemoine, 26/08/2022)
Ce recueil mélange essais sur le lesbianisme, notamment sur les dynamiques butch/fem, et courts textes érotiques. Joan Nestle est une lesbienne juive, issue des classes populaires. Depuis cette triple identité marginalisée, elle nous livre non seulement de magnifiques représentations lesbiennes, mais aussi des réflexions sur le militantisme féministe et lesbien. Des textes écrits entre 1987 et 2003, qui n’ont rien perdu de leur actualité. Adèle Cassigneul signe une magnifique critique dans Jeanne Magazine.
Ni véritablement biographie, ni véritablement autobiographie, Carson McCullers et moi est un objet littéraire difficilement identifiable. La narratrice, Jenn Shapland, nous emmène sur les traces de l’autrice Carson McCullers (1917-1967), très connue aux Etats-Unis, et dont le lesbianisme a été soigneusement effacé. Pourquoi ? Comment ? Qui est derrière cet effacement ? Qu’est-ce que cela dit de la littérature, du lesbianisme, des lesbiennes, mais aussi du parcours lesbien de Jenn Shapland elle-même ?
C’est extrêmement bien ficelé et bien écrit, c’est pétri de références lesbiennes, et personnellement, ça m’a fait beaucoup réfléchir sur les formes d’écritures qui seraient pertinentes, ou non, pour écrire sur les autrices lesbiennes.
Comme pour Carson McCullers et moi, l’autrice refuse ici le format et l’approche classiques de la biographie. Les titres de chapitre sont constitués de verbes mis les uns derrière les autres (“AMAZONER INSULER LESBIANISER”) et en lisant Emilie Notéris on se dit rapidement que, pour un sujet pareil, il fallait une forme différente. L’autrice part sur les traces de Monique Wittig en interrogeant les personnes qui l’ont connue, bien sûr, mais elle nous raconte également ces rencontres, nous montrant ainsi ce “brouillon de biographie” en train de se faire tout en visibilisant le travail collectif que nécessite toute biographie. Et elle ne s’arrête pas à la mort de Monique : dans le dernier chapitre (“INACHEVER ETERNISER”), elle interroge trois autrices sur les liens que celles-ci entretiennent avec l’œuvre et la pensée de Wittig. Une constellation de voix, d’influences et d’opinions, il fallait au moins ça pour parler de Monique.
Le point Despentes : j’ai bien évidemment dévoré Cher Connard (en grande partie nu sur une plage lesbienne à Lesbos, d’ailleurs). Mini bilan : pas mon roman préféré de Queen D., mais ça m’a fait du bien de retrouver sa plume acérée et sans pitié et ses thèmes fétiches.
Éparpillements
“Aussi les corps rebelles/nombreux / sont-ils isolés dans leur rébellion épars” (Michèle Causse, “L'Encontre”)
Choses lues, vues, écoutées en lien avec les littératures et cultures lesbiennes
Ecrire à l’encre violette : Le 18 novembre dernier, les camarades d’Ecrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours étaient à la super librairie lilloise l’Affranchie pour parler du livre. La discussion est désormais disponible en ligne, sur toutes les plateformes de podcast.
Viendra le temps du feu : Fin novembre, Wendy Delorme était l’une des invité.es de La Grande Librairie, l’émission littéraire de France 5. Elle y a parlé dystopie, futurs anxiogènes et adelphité. Pour revoir l’émission, c’est ici, et pour revoir sa lecture d’un extrait du roman, sur une musique de Claude Violante, c’est ici.
Faite de cyprine et de punaises : Suite à la sortie de son premier roman, Lauren Delphe a été invitée dans l’émission n°15 d’Homomicro et c’est à écouter ici.
À la demande (quasi) générale
Si tu as envie que j'aborde un sujet / une œuvre / une question en particulier, qu'il s'agisse ou non de littérature lesbienne, c'est ici que ça se passe. Écris-moi pour me dire ce que tu aurais envie de lire, ce dont tu aurais besoin et je m'en occupe (dans la limite de mes compétences). Une petite bibliographie sur un sujet ou un.e auteurice en particulier ? Mon avis sur un roman ? I'm your dyke !
Merci d’avoir lu la première édition de cette newsletter ! J’espère que tu y auras trouvé ton compte et que ça t’aura donné des idées pour occuper les longues soirées d’hiver. À bientôt pour de nouvelles gouineries 🥦
Je ne suis pas team Noël, mais je suppose que cette petite sélection peut servir d’inspiration pour des cadeaux fin décembre ou à n’importe quel autre moment de l’année
Avis aux masterant.es qui chercheraient un sujet de mémoire : sa poésie (assez prolifique) est lesbienne aussi ! Ne maîtrisant pas le catalan, je ne peux malheureusement pas en dire plus